Retour sur l’histoire et la dimension patrimoniale du bâtiment qui héberge le Théâtre Théo Argence, de ses origines jusqu’à la rénovation complète de ces dernières années, alimentée par la volonté de préserver et de valoriser sa richesse patrimoniale.
Sources : Archives municipales de la ville de Saint-Priest
La naissance de la Maison du Peuple
Les Maisons du Peuple
Genèse des maisons de la Culture née avec André Malraux, les maisons du peuple, ont le désir d’éduquer les classes ouvrières « même si l’idée et le terme de maison de la culture datent au moins du Front populaire et si, en province, des associations et des équipements portaient ce nom avant que le ministère n’ait tenté d’en contrôler le label.» (Philippe Urfalino).
Officiellement, la première Maison de la culture, rue d’Anjou à Paris, ouvre ses portes en 1935, elle est le siège de l’activité de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires. Cette ouverture est suivie par la création d’une association nationale des Maisons de la culture dont Aragon est le secrétaire général. Suivra ensuite l’ouverture des Maisons de la culture de Rouen, Bordeaux, Marseille, Montpellier, Lyon, Alger et Rabat « illustrant la volonté d’articuler action politique et éducation avant la seconde guerre mondiale dans des locaux qui ne sont pas encore l’objet d’une architecture spécifique et occupent des constructions existantes » (Richard Klein).
Coté architecture, la Maison du Peuple peut être représentée par les deux grands genres qui apparaissent dans l’architecture publique française à partir des années trente : celui du monument et celui de la machine. Le Palais du travail à Villeurbanne (1928-1934) de l’architecte Môrice Leroux qui comprend un théâtre de 1500 places, une piscine et une salle de réunion offre une version monumentale de l’architecture pour le peuple (l’édifice deviendra après la seconde guerre mondiale le siège du Théâtre National Populaire) articulant des fonctions différentes autour d’une salle de théâtre. La maison du Peuple de Clichy (1935-1939) des architectes Eugène Beaudoin et Marcel Lods assistés de l’ingénieur Vladimir Bodiansky et du constructeur Jean Prouvé, repose sur la combinaison programmatique plus inhabituelle d’un marché au rez-de-chaussée et d’une salle de spectacle décapotable à l’étage. La machine de Clichy (Jean-Louis Cohen), exprime un idéal de mobilité permanente et annonce la polyvalence, la flexibilité et la mobilité de futurs autres programmes d’équipements qui ne verront le jour qu’après la seconde guerre mondiale. Une des première Maisons de la culture ouverte après la naissance du secrétariat d’état aux affaires culturelle (1959) est en réalité issue de la restructuration d’une Maison du peuple.
Ainsi, le programme des Maisons du peuple met généralement l’accent sur l’éducation, l’enseignement artistique, le rassemblement lié aux manifestations militantes et culturelles. Symboliquement, l’édifice est associé à la représentation politique du mouvement ouvrier qu’il soit porté par le paternalisme chrétien ou par les municipalités socialistes. C’est un symbole au-delà des frontières dont le programme est toujours identique : une Maison du peuple doit être composée d’une salle de spectacle et/ou de réunion autour de laquelle sont groupés des lieux de convivialité, parfois des lieux destinés aux expositions et à l’éducation.
Saint-Priest
Au début du 19e siècle, Saint-Priest se transforme : les années 1920 et 1930 voient le développement de l’industrie le long de la voie ferrée sous l’essor de Henri Maréchal (fabrication de toile cirée) et de Marius Berliet (devenu Renault Trucks à Vénissieux). Cet essor industriel est accompagné par la construction de cités ouvrières, à proximité directe des usines (Cité Maréchal et Cité Berliet). L’arrivée de ces nouvelles populations s’accompagne d’une politique municipale de construction d’équipements, notamment sous le mandat de Théophile Argence maire de 1929 à 1940, qui fait moderniser les réseaux d’eau et de gaz, fait racheter le château et le parc par la ville et fait construire la Maison du peuple ainsi que le stade qui lui est voisin. La construction de la Maison du peuple s’inscrit alors dans un principe de modernisation du village. C’est sur la toute nouvelle place Ferdinand Buisson, terminée en 1930, face à la gare du tramway et au bord de la Jeune Allée récemment goudronnée, future avenue Jean Jaurès, que le projet est envisagé.
À la sortie de la seconde guerre mondiale, le territoire communal est investi par plusieurs projets de construction de logements collectifs. L’espace agricole qui se situait entre les voies ferrées et le bourg originel devient un nouveau centre-ville et la Mairie y est déplacée. Le jardin qui donnait sur la façade Sud de la Maison du peuple est réaménagé en une place, bordée de barres d’immeubles. Cette place forme l’articulation entre le bourg ancien et le nouveau centre. L’extension urbaine de Saint-Priest se poursuit dans les décennies qui suivent, principalement sous une forme d’ensembles pavillonnaires. Ce mouvement d’extension urbaine s’explique en partie par la proximité de Lyon dans la périphérie de laquelle se voit petit à petit englobée la ville de Saint-Priest. Plus récemment, les transformations urbaines se portent sur le centre-ville.
La Maison du Peuple de Saint-Priest
« Ce qu’a voulu le Conseil Municipal, en édifiant la maison du Peuple, au centre même des deux plus grandes agglomérations, c’est non seulement mettre à la disposition des habitants une salle des fêtes qui depuis longtemps faisait défaut, mais aussi créer un véritable foyer de vie collective. Les nombreuses Sociétés locales de toutes sortes souffrent de leur isolement, de leur peu de moyen d’action, et surtout du manque de liens entre elles. Il est à souhaiter que la maison du Peuple soit le foyer où elles se rencontreront, se reconnaîtront et, espérons-le travailleront en commun. » (Six années d’administration municipale, 1929-1935).
La maison du peuple est l’équipement public promu par le nouveau maire de Saint-Priest élu au mois de mai 1929, Théophile Argence (1892-1975). Cependant le contenu du registre des délibérations municipales atteste de la genèse du programme et de la paternité complexe de la conception du projet de la Maison du peuple de Saint-Priest. Avec la Maison du peuple, le maire Théophile Argence, veut mettre à la disposition des habitants une salle des fêtes mais aussi créer un véritable foyer de vie collective. Un lieu de rencontre où l’on peut débattre, mais également se divertir.
Au mois de février 1930, Paul Bresse, architecte à Vienne, est pressenti afin d’établir un projet de place publique qui doit également aboutir à un projet de Maison des œuvres post scolaires et péri-scolaires. Les archives municipales contiennent les dessins d’un projet de Paul Bresse pour une salle des fêtes à La Côte Saint-André qui a vraisemblablement justifié le choix de l’architecte et éventuellement servi de modèle aux premiers dessins pour l’aménagement public et l’équipement communal de Saint-Priest. Le 7 juillet 1931, il est fait mention de la nomination de Albert Pin, lui aussi architecte à Vienne, en tant qu’architecte conseil de la commune depuis le 1er janvier 1931. C’est un autre architecte de Vienne, Mr Guerin qui reprend le dossier de Paul Bresse qui a cessé ses activités. Mr Guerin, par une lettre datée du 5 juillet 1932 accepte l’annulation du dossier en demandant le solde de ses honoraires. C’est finalement l’architecte Albert Pin qui, en tant qu’architecte conseil de la ville de Saint-Priest, reprend l’étude de l’équipement à partir du 22 juillet 1932. Le Conseil Municipal accepte le projet lors de sa séance du 12 janvier 1933. Le descriptif élaboré par l’architecte Albert Pin qui concerne à cette date une Maison des œuvres Post-Scolaires, insiste sur la simplicité et sur l’économie de l’édifice : « extérieurement tous artifices de décoration ont été évités, et les façades qui ne comportent pas l’emploi de matériaux couteux restent extrêmement sobres ». Lors de la séance du conseil municipal du 11 avril 1934, il est souligné que l’équipement n’est pas « une simple salle des fêtes » mais qu’il s’agit d’un « Foyer municipal, autrement dit d’une véritable Maison du peuple ». Le programme est alors décrit et comprend : une salle de fêtes de 870 places, une scène pouvant être utilisée en salle de gymnastique, une loge de concierge, des vestiaires, un bar-buvette, plusieurs salles (destinées aux usages de bibliothèque scolaire, bibliothèque populaire, ouvroir, salle de jeux). À l’étage, un balcon-galerie peut contenir 280 places, une salle de « cinéma-éducateur » peut également servir de salle de banquet, salle de conférence, salle de répétition pour les sociétés musicales et chorales. Lors du conseil municipal du 11 avril 1934, le Maire, Théo Argence, insiste sur la nouvelle vocation de l’équipement, sur sa dénomination de Maison du Peuple dont l’édification doit également contribuer à réduire le chômage et développer l’activité commerciale. Au mois de mai 1934 l’adjudication des travaux est lancée (une affiche de la ville de Saint-Priest est destinée à cet appel aux entreprises). Cependant, les plans datés du mois de juin 1934 montrent des différences notables par rapport aux plans de janvier 1933. L’ensemble de l’édifice comporte un étage en plus, ce qui confère à la façade orientée à l’Est une allure plus monumentale mais surtout qui contraint l’architecte soit à un décaissement, soit à la mise en place d’un sol en pente pour la salle de spectacle qui comporte des entrées-sorties latérales (au Sud et au Nord) desservies à chaque fois par une demi volée droite d’escalier. C’est à partir de ces changements que la configuration initiale des collatéraux distribuant la salle de théâtre est bouleversée : la desserte des étages supérieurs étant assurée par les escaliers par des circulations verticales qui scandent les parties latérales Nord et Sud. Le projet définitif prévoit une salle des fêtes pouvant accueillir jusqu’à 1 100 personnes assises. On y trouve également une salle de cinéma, un bar-buvette, et une bibliothèque riche de 600 ouvrages. Le foyer sert aussi de dancing et son podium permet d’accueillir les artistes. Enfin, une salle est affectée au dispensaire d’hygiène sociale.
La Maison du peuple de Saint-Priest est inaugurée les 27 et 28 avril 1935. Le gouvernement du Front Populaire rendra honneur à l’initiative de Théo Argence lors de l’inauguration officielle au mois de juillet 1936. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux sports et aux loisirs dans le gouvernement de Léon Blum, fait le déplacement. Le lieu est aussitôt mis à disposition des San-Priot·es et de ses sociétés locales comme l’Association des anciens élèves de l’école laïque qui prend en charge le cinéma parlant.
La façade Est de la maison du peuple fait alors face à un parc, elle devient le pendant du château. De cette configuration urbaine, il reste les traces d’une photographie aérienne qui montre l’environnement végétal remarquable du secteur.
À son ouverture la Maison du peuple de Saint-Priest rejoint la série des édifices du même genre dont les caractéristiques sont communes. Les aînées plus monumentales peuvent être illustrées par l’exemple du projet de bourse du travail de Tony Garnier dont l’avant corps repose sur la partition tripartite fréquente dans tous les édifices de spectacle, des opéras aux salles de théâtres. Plus modeste, la Maison du peuple de Saint-Priest fait partie d’une série qui comprend celle de Vénissieux, Saint-Zacharie, Pierre Bénite ou Belfort.
En 1940, la Maison du peuple est rebaptisée salle des fêtes. A la suite de la seconde guerre mondiale, c’est essentiellement l’évolution du contexte urbain qui transforme ensuite l’environnement de la Maison du peuple de Saint-Priest. Le développement de la ville et la densification progressive du secteur reliant la gare au village explique la configuration actuelle.
Plusieurs phases de travaux affectent l’édifice. Une première phase de travaux correspond en 1979 à l’ouverture d’une galerie municipale d’exposition. Une deuxième phase de travaux a lieu ensuite, elle concerne la rénovation de la salle de spectacle de 700 places et l’ouverture d’une salle de cinéma. Les aménagements de cette période inaugurés au cours de l’année 1981 (en présence de Claude Nougaro) sont conçus par Georges Bacconier-Bergot architecte d.p.l.g (Lyon) et M.R. Roussel. D’autres travaux utilitaires sont menés par A. Pogorzelski, architecte d.p.l.g (Vienne). Le 25 juin 1983, un incendie dévaste le bâtiment, particulièrement la salle de spectacle. Les travaux transforment alors profondément celle-ci. Le parterre et le balcon sont remplacés par une dalle incurvée qui donne à la salle sa configuration actuelle, la fosse d’orchestre est supprimée, la couverture de la salle est rehaussée. La salle du second étage est également transformée. La Maison du peuple devient alors le centre culturel Théo Argence en hommage à l’ancien maire. Les plans des dernières transformations datent de la fin de l’année 2000, Michel Jarleton et Fabien Scorbini, architectes à Lyon sont chargés de la rénovation du centre culturel. En 2012, avec le transfert de la galerie d’exposition dans les nouveaux locaux de l’artothèque, il est rebaptisé le Théâtre Théo Argence.
Le Théâtre Théo Argence de 2019 à aujourd’hui
Réhabilitation
Le bâtiment du Théâtre Théo Argence a fait l’objet d’importants travaux de réhabilitation dès l’été 2019. Pendant ces 4 années, l’équipe du TTA a redoublé d’efforts pour continuer à proposer des spectacles hors-les-murs à la ferme Berliet puis à l’Espace Mosaïque.
L’espacement
Le nouveau TTA en quelques mots :
- une salle principale d’une capacité de 630 places assises et 900 places debout, avec jauges intermédiaires possibles. Dimensions du plateau : 16m d’ouverture, 13m de profondeur, 11m de hauteur.
- une salle annexe de 104 places assises et 170 debout.
- un espace jouable dans le hall d’accueil, d’une jauge de 100 places, plateau de 6x3m
- des espaces polyvalents pouvant accueillir des ateliers, des expositions et autres événements.
- un espace bar restauration.
Tous les espaces du théâtre ont été repensés, afin d’être plus agréables et performants pour les artistes, les publiques et les équipes du TTA. Seule subsiste de l’ancien bâtiment la façade originelle de 1934. Le TTA conserve donc son identité architecturale d’origine, tout en se dotant d’une nouvelle enveloppe résolument contemporaine, adaptée à son époque et à ses usagers.